Quelque chose d'important est en train de changer chez nous... Et même c'est fait, on a franchi le Rubicon : dans quelques jours, on aura la télé...
Depuis presque treize ans que nous vivons ensemble, cette petite lucarne ne s'était pas fait de place dans notre "chez nous"... D'abord par manque d'espace, tout simplement, dans notre premier et minuscule appartement... Ensuite parce qu'elle ne nous manquait pas...
Les enfants sont arrivés et je me souviens qu'on s'était dit que la pression de leur part serait vite trop forte pour qu'on puisse résister. Et puis en fait, non. Ca ne s'est pas passé comme on le pensait.
Sur l'écran de l'ordi ils pouvaient regarder le petit DVD qui fait du bien, parfois, en fin de journée...
Et pour le reste, on était heureux de les voir surtout passer du temps à jouer, à lire et aimer ça. De choisir aussi, comme parents, ce qu'ils regardent. De les préserver de la pub...
En grandissant les garçons ont découvert les possibilités d'Internet
(sous contrôle bien sûr), et se sont fait offrir des petites consoles de jeu. On a instauré des règles limitatives pour les temps "d'écrans", qu'ils connaissent bien et respectent. Quand St Nicolas a amené la W*i, moins d'un mois après la naissance de Félix, on a accepté la "vieille" télé d'un
généreux donateur, comme "moniteur" pour la console.
Et là voilà... pression de notre presqu'ado qui rentre dans le secondaire et commence à se plaindre d'être un "extraterrestre" pour certaines discussions entre copains, pression de la Coupe du monde de foot pour mes fans, offre imbattable de notre fournisseur internet... et ça y est. Dans quelques jours, chez nous, "les écrans", ce sera aussi 70 chaînes de télé...
Ce soir cela me rend toute morose. L'impression d'une page qui se tourne.
Oui j'étais fière, un peu bêtement, qu'on vive sans. Ce sentiment d'être un peu exceptionnels me plaisait bien, soyons honnêtes.
Oui sans doute ce n'était pas vraiment tenable, sans télé, avec un ado
(et bientôt plusieurs ...gloups!)
Mais
sans vouloir paraître prétentieuse, la télé, les émissions que j'en entr'aperçois par ci par là, elle m'apparaît souvent choquante, vulgaire, cynique... Mon envie, comme mère, de les protéger de ça elle reste bien présente... pour mes petits et même pour mes grands! Alors oui ce soir j'ai un peu peur...
Peur que la vie de famille se rythme sur la télé, des émissions politiques pour mon homme à l'
émission-favorite-qu-on-ne-peut-absolument-pas-rater qu'ils auront chacun. Peur que notre quotidien soit envahi. Peur qu'il soit beaucoup plus difficile de résister quand ce sera là à portée de main... un peu comme le sachet de chips ou la plaque de chocolat à laquelle il est plus facile de résister au supermarché que dans le placard quand on a un coup de mou...
Oui je dramatise sans doute un peu, j'admets. Mais je me soigne...
Je me dis que je peux sans doute "nous" faire confiance, pour qu'elle soit utilisée au mieux, et non au pire... Confiance dans la force des digues qu'on a déjà pu construire comme parents, autour d'eux mais aussi et d'abord en eux, pour qu'ils ne se laissent pas déborder ou envahir...
Je repense à cette phrase, griffonnée dans le carnet de citations que je baladais partout, étudiante,
et à laquelle j'ai si souvent repensé depuis que trois petits gars et une petite princesse ont fait de moi leur maman :
"En ce qui concerne un petit enfant aussi précieux et aussi adoré que M., on aimerait bien avoir le don d'arrêter le vent et le froid et d'empêcher l'arrivée de la nuit, et pourtant on sait parfaitement qu'il est bien qu'on n'en soit pas capable ; car le vent, le froid et la nuit eux-mêmes ont une fonction à remplir au service de la vie, et ils ont leur utilité, de sorte que, si on avait ce pouvoir, on ferait du mal à ceux qu'on aime" (Karen Blixen, Lettres d'Afrique)